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XXIII.

Or' que mon beau Soleil loin de moy ſe retire,
Que verrés vous, mes Yeux, qui vous puiſſe éclairer ?
Il vous faudra touſiours aveuglez demeurer,
Soit que le iour ſ'abaiſſe, ou qu’il commence à luire.

Or' que le Ciel malin pour aſſouuir ſon ire,
Me rauit mon eſpoir, que pourray-ie eſperer ?
De tous contentemens ie me veux ſeparer,
Regrets, ſoucis, trauaux, c’eſt vous que ie deſire.

On me verra ſeulet par les bois écarter,
Pour en mille hauts cris triſtement m’éclater,
Guidé de deſeſpoir & d’amoureuſe rage.

Si vous pouuiez, mes Yeux, me fournir tant de pleurs,
Que ie peuſſe noyer ma vie & mes douleurs,
Helas i’auroy tiré profit de mon dommage !


XXIIII.

Pour eſtre abſent du bel œil qui me tue,
Las mon deſir ne va diminuant !
Mais dedans moy touſiours continuant,
Plus il me ronge & plus il ſ'euertue.

Vn vain obiet ſe preſente à ma veue,
De cent penſers m’affolant & tuant :
Et ſens Amour perçant & remuant
Mon cœur ſanglant de ſa griffe pointue.

Miſericorde, Amour, ie te ſupply,
Fay tant pour moy que ie mette en oubly
Ceſte beauté, dont ma douleur procede.

Las qu’ay-ie dit ? Amour, garde t’en bien :
I’aime trop mieux ne m’alleger en rien.
Le mal eſt grand, mais pire eſt le remede.