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LIVRE I.


XII.


Vallon, ce Dieu tyran, qui me fait endurer
Tant de viuantes morts qu’immortel ie ſupporte,
Nous a tous deux rãgez preſque en la meſme ſorte,
Et preſque vn meſme mal nous contraint ſoupirer.

Aimant comme tu fais, tu ne dois eſperer
Qu’aucun allegement tes ennuis reconforte :
Aimant comme ie fays, mon eſperance eſt morte
Car ce n’eſt aux mortels d’y penſer aſpirer.

Tous deux nous endurons mille & mille deſtreſſes,
Tous deux nous adorons en eſprit nos maiſtreſſes,
N’oſans leur decouurir nos ſoucis rigoureux.

Conſole toy, Vallon, comme ie me conſole :
Encor eſt-ce vn confort à l’homme malheureux,
D’auoir vn compagnon au malheur qui l’affole.


XIII.

Durant les grand’s chaleurs i’ay veu cent mille fois
Qu’en voyant vn eclair flamboyer en la nue,
Soudain comme tranſie & morte deuenue
Tu perdois tout à coup la parole, & la vois :

De pouls ny de couleur tant ſoit peu tu n’auois.
Et bien que de l’effroy tu fuſſes reuenuë,
Si n’oſois-tu pourtant dreſſer en haut la veuë,
Voire vn long temps apres parler tu ne pouuois.

Donc ſi quand vn propos deuant toy ie commence,
Tu me vois en tremblant changer de contenance,
Demeurer ſans eſprit, palle & tout hors de moy,

Ne t’en etonne point, belle & cruelle Dame,
C’eſt lors que les eclairs de tes beaux yeux ie voy,
Qui m’eblouiſſent tout de leur luiſante flame.