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  DIANE,  



VI.


Ô grand démon volant, arrête la meurtriere
Qui fuit devant mes pas, car pour moy je ne puis,
Ma course est trop tardive : & plus je la poursuis,
Et plus elle s’avance, en me laissant derriere.

Ô Dieu fay l’un des deux : consens à ma priere,
Ou ne me laisse plus en l’estat que je suis :
Rens moy comme j’estois, sans Dame & sans ennuis,
Et delivre ma vie en ses yeux prisonniere.

Si tu es juste, Amour, tu me dois délier,
Ou par un doux effort ceste dure plier :
Mais las que mon attente est folle & miserable !

J’importune un tyran qui de nos maux se plaist,
Qui s’abreuve de pleurs, qui d’ennuis se repaist.
Et plus il est prié, moins il est pitoyable.


VII.


Ô lict, s’il est ainsi que tu sois inventé
Pour prendre un doux repos quand la nuit est venue,
D’où vient que dedans toy ma douleur continue,
Et que je sens par toy mon tourment augmenté ?

Je ne fay que tourner d’un & d’autre costé,
Je choisi tous les coings, je cherche & me remue :
Et mon cœur qui ressemble à la marine esmue,
D’ennuis & de pensers est tousjours agité.

J’assemble bien souvent mes paupieres lassees,
J’invoque le Sommeil pour guarir mes pensees,
Mais il fuit de mes yeux & n’y veût demeurer.

D’un seul bien, ô mon Lict, mes langueurs tu consoles,
Je m’ouvre tout à toy, cœur, pensers, & paroles,
Et je n’ose autre part seulement respirer.