Page:Desportes - Premières œuvres (éd. 1600) I - Diane. Premières Amours.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Lors que ſans nul trauail aux hommes inutile,
La terre aux plus oyſifs ſe monſtroit plus fertile.
Ceux qui du mont Parnaſſe au ciel pouuoyent monter,
Du peuple eſtoient tenus enfans de Iupiter,
Comme és oracles ſaincts croiant à leurs paroles
Leurs images eſtoient des autres les idoles.
On voyoit en leur nom des temples éleuez
Et pour garder leurs corps on tenoit reſeruez
Des tombeaux enrichis de pilliers & d’arcades
Qui ſouſtenoient les lis & les roſes muſcades,
Tandis que leurs eſprits alloyent en d’autres lieux,
Ou des aſtres plus nets éclairoyent à leurs yeux.

   Depuis que de ce Dieu la nourrice ſecrete
L’eut tiré doucement de ſon antre de Crete,
Et qu’il nous euſt donné par des mois ſi diuers,
Apres de doux Printemps de ſi faſcheux hyuers :
Que l’on n’eut deſormais plus de fruit ſans ſemence,
Et qu’il fallut des loix pour garder l’innocence,
Tous ces premiers honneurs que l’on auoit rendus
A cét art tout diuin, furent preſque perdus :
Les Rois pourtant encor y mettoyent leur eſtude.
Mais, depuis qu’vne langue eſt hors de ſervitude,
Et qu’il eſt tant de mots que chacun peut parler,
Ce grand nombre de vers qui ſont bons à bruler,
Des ſçauans & des grans les eſprits importune
Et leur fait meſpriſer ceſte gloire commune :
Pour dedaigner l’obiet qui nous eſt le plus cher,
C’eſt aſſez quand beaucoup en oſent aprocher.

   Comme vne fleur ſecrete, vne odorante roſe,
Qui ſeule ſeurement ſur l’eſpine repoſe