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  D’HIPPOLYTE. 77
XVI.


Mon Dieu que de beautez sur le front de Madame !
Mon Dieu que de thresors qui ravissent les dieux!
La clarté de son œil passe celle des cieux,
Quand au plus chaud du jour le soleil nous enf1ame :

Mais las ! de mille traits sa beauté nous entame,
Trop sont pour les mortels ces thresors precieux :
Et le soleil luisant qui sort de ses beaux yeux
Respand tant de clairté, qu’il aveugle nostre ame.

Estrange fait d’Amour ! un objet à l’instant
Me rend triste et joyeux, malheureux et contant,
M’esclaire et m’esbloüit, me fait vivre et me tue.

Et voilà ce qui fait qu’en forçant mon vouloir,
Je me bannis, helas ! du plaisir de vous voir,
Pour ne sentir le mal qui vient de vostre veuë.


XVII.


Qu’une secrette ardeur me devore et saccage,
Et que privé d'espoir j’ayme, helas ! vainement,
Je ne m’en fasche point : je me plains seulement
Que mon œil n'est plus clair pour voir vostre visage.

Que ne suis-je l’oiseau ministre de l’orage,
Qui tient l’œil au Soleil sans flechir nullement ?
Je serois bien-heureux voyant incessamment
La divine beauté qui me tient en servage.

Le malheur qui me guide est plein de grand’rigueur :
Un monstre horrible à voir ne me fait point de peur,
Et je crains les regars d'une jeune Deesse.

C’est Amour qui le fait, qui ne s’assouvit pas,
Le cruel, de ma mort, mais veut que mon trespas
Soit privé de tout poinct d'honneur et de liesse.