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  AMOURS  


VI.


Je ne puis pour mon mal perdre la souvenance
Du soir, soir de ma mort, que mon œil curieux
Osa voir trop hardi, le plus parfait des cieux,
Et le nouveau soleil si luisant à la France.

Mon Dieu que de clairtez honoroyent sa presance,
Que d’amours, de desirs, & d’attraits gracieux !
Mais plustost que de morts, de soucis furieux,
De peurs, d’aveuglemens, pour punir mon offanse !

Je voyois bien mon mal, mais mon œil desireux,
Ravi de ses beautez, s’y trouvoit bien-heureux,
Lors qu’un flambeau cruel trop tost l’en fist distraire.

Helas ! flambeau jaloux de ma felicité,
N’approche point d’ici, porte ailleurs ta clairté,
Sans toy cest œil divin rend la salle assez claire.

VII.


Amour sceut une fois si vivement m’attaindre,
Qu’il me tint trois hyvers en langueurs & en cris :
À la fin la Raison regaignant mes espris,
Chassa l’aigre douleur qui tant me faisoit plaindre.

Mais ainsi qu’un flambeau qu’on ne fait que d’étaindre,
Si le feu s’en approche est aussi-tost repris :
Dans mon cœur chaud encore un brasier s’est épris,
Voyant vostre bel œil qui les dieux peut contraindre.

Ô que ce feu nouveau, dont je suis consumé,
Est plus ardant que l’autre en mon sang allumé !
Bien qu’il ne luise point, que sa flamme est cruelle !

De ma premiere amour je me suis peu guarir,
Mais je n’espere plus cest autre secourir :
Car las ! presque tousjours la rencheute est mortelle.