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  CLEONICE,  



XIIII.


Pourquoy ne l’aimeroy-ie ? elle eſt toute parfaite,
C’eſt vn pourtraict viuant des beautez de Cypris :
Il n’auroit point de cœur qui n’en ſeroit épris,
Et qui ne beniroit le iour de ſa deſfaite.

Bien que pour vn mortel le Ciel ne l’ait pas faite,
Et que i’aduoue aſſez d’auoir trop entrepris,
Ie me plais en ma faute, & plus ie me ſens pris
Et plus ie tiens ma vie heureuſement ſuiete.

Mon Dieu qu’elle eſt diuine, & que ie ſuis heureux
D’en auoir connoiſſance, & de n’eſtre amoureux
De rien tant que des yeux dont i’ay l’ame bleſſée !

Moins i’y connoy d’eſpoir, mieux ie la vay ſeruant :
Ce qui deuſt me geler rend mon feu plus viuant,
Et le mal qui me tue eſt vie à ma penſee.


XV.


Vn yuoire viuant, vne neige animee,
Fait que mon œil rauy ne s’en peut retirer :
O main victorieuſe appriſe à bien tirer,
Que tu m’as de beaux traits la poictrine entamee !

Aux celeſtes beautez mon ame accouſtumee
Ne trouue obiect que toy qui la puiſſe attirer,
Et croit qu’elle te peut ſans offenſe adorer,
Tant elle eſt de ta glace à toute heure enflammee.

Le iour dont ſi ſouuent i’aime à me ſouuenir,
Iour qu’il te pleut mes yeux & mon cœur retenir,
Et de leur ſeruitude embellir ta victoire,

Tu rompis tant de nœuds qui m’auoyent ſceu lier,
Et me faiſant dés lors toute choſe oublier,
Tu fus mon ſeul penſer, mon ame & ma memoire.