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  CLEONICE,  


XXVI.

Ie voy mille clairtez & mille choſes belles,
Mais c’eſt tout par vos yeux, les miẽs ne ſçauroyent voir ;
Voſtre eſprit tout divin me rend plus de ſçavoir,
Ie volle au plus haut ciel emporté ſur vos ailes.
Vous me rendez gelé dans les flammes cruelles,
Ainſi cõme il vous plaiſt vous me faites mouvoir,
Vous me donnez raiſon, iugement & pouvoir,
Vous eſtes mon deſtin, & mes loix eternelles.
De vous, & non du ciel, ie reçoy qualité,
D’un clin de vos beaux yeux ie ſay ma volonté,
Vous me donnez l’eſſence & la forme premiere :
Sans vous ie ſuis pareil à ceſt œil de la nuict,
Qui n’eſt de ſoy viſible, & qui point ne reluit,
Si des rais du soleil il ne prend ſa lumiere.


XXVII.

Les combats renommez, les victoires hautaines
Des Dieux de voſtre ſang vous croyez ſurpaſſer,
Comblant de feux mon ame, eſclavant mon penſer,
Et triomphant d’un cœur ſoumis à tant de paines.
Mais la mort qui ſe rit des puiſſances humaines,
Et qui les peſans ſers des vaincus peut caſſer,
Finira ma ſouffrance, & vous fera ceſſer
De tirer pour tribut de mes yeux des fontaines.
Ma cendre ſeulement alors vous reſtera,
Que voſtre cœur ſelon à ſon gré traitera,
Tãdis que mon eſprit ſans douleur & sans crainte,
Delivré de l’Enfer où il fut tourmenté,
Iouira bien-heureux de voſtre grand’beauté,
En la face de Dieu ſi vivement depeinte.