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NOUVELLE LXIII.

Du regent qui combatit une harangere du Petit Pont, à belles injures[1].


Un martinet[2] s’en alla, un jour de caresme, sus le Petit Pont, et s’addressa à une harangere, pour marchander de la moulue[3] ; mais, de ce qu’elle luy fit deux liardz, il n’en offrit qu’un : dont ceste harangere se fascha et l’appella injure[4], en luy disant : « Va, va, Joannes[5] ! Porte ton liard aux tripes. » Ce martinet, se voyant ainsi outragé en sa presence, la menasse de le dire à son regent. « Et va, marmiton ! dit-elle, va le luy dire, et que je te revoye icy, toy et luy ! » Ce martinet ne faillit pas à s’en aller tout droit à son regent, qui estoit bon frippon,

  1. Le récit qu’on voit dans Bruscambille, de la querelle d’un pédant avec une harengère, ne vaut pas celui-ci à beaucoup près. (L. M.)
  2. On appeloit autrefois, dans l’Université de Paris, martinets les écoliers qui changeoient souvent de collège, par rapport vraisemblablement à ces oiseaux nommés martinets, qui changent tous les ans de demeure, venant au mois de mars et s’en retournant à la Saint-Martin, ce qui leur a fait donner le nom de martinets. (L. M.)
  3. Pour : morue.
  4. Équivoque sur in jure. La Monnoye met en note : « Appeler injure, pour chanter injure, est une façon de parler inconnue, mais qui néanmoins tient un peu de parler procès, parler Balzac. » etc. M. Lacour croit tout simplement que l’adjectif est mis pour l’adverbe, et qu’on doit lire : « et l’appela injurieusement. »
  5. Joannes est le nom qu’on donne aux valets des régents de collège. Le nom de Jean, respectable dans son origine, est devenu méprisable dans la suite, pour avoir été trop commun. Voyez le Capitolo du Casa sur son nom Giovanni, dont il paroissoit fort malcontent. En Italie, fare il Zanni, c’est faire le bouffon bergamasque sur le théâtre ; ce que les praticiens de ce pays-là, dans les actes qu’ils expédient en latin, expriment par facere Joannem, parce que Zanni, en bergamasque, c’est Jean. Les Espagnols ont aussi dans leurs farces un bobo, c’est-à-dire un benêt, qu’ils appellent Bobo Juan. En françois, un Jean, un Joannes, un Jannin, est celui dont la femme se gouverne mal. (L. M.) — Voici le Capitolo de Jean de La Case, dont La Monnoye vient de parler :

    S’io havessi manco quindici a vent’anni,
    Messer Gandolfo, i mi sbattezzerci,
    Per non haver mai più nome Giovanni.