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En lieu d'une meschanceté qu'ilz faisoyent le temps jadis, pour tourmenter le monde, ilz en inventerent de toutes nouvelles. Ilz tuoyent, ilz ruoyent, ilz tempestoyent, ilz renversoyent tout cen dessus dessoubz[1]. Tout alloit par escuelles, mais aussi les diables y estoyent. De ce temps là y avoit force philosophes (car les Alquemistes s'appellent philosophes par excellence), d'aultant que Salomon leur avoit laissé par escript la maniere de faire la saincte pierre. Laquelle il avoit reduite en art, et s'en tenoit escolle comme de grammaire. De mode que plusieurs arrivoyent à l'intelligence ; attendu mesmes que les vermeniers[2] ne leur troubloyent point le cerveau, estans enclos. Mais si tost qu'ilz furent en liberté, se ressentans du mauvais tour que leur avoit joué Salomon en vertu de ceste pierre, la premiere chose qu'ilz firent, ce fut d'aller aux fourneaux des philosophes, et de les mettre en pieces. Et mesmes trouverent façon d'effacer, d'esgraffigner, de rompre, de falsifier tous les livres qu'ilz peurent trouver de ladite science, tellement qu'ilz la rendirent si obscure et si difficille, que les hommes ne sçavent qu'ilz y cherchent. Et l'eussent voulentiers abolie du tout ; mais Dieu ne leur en donna pas la puissance. Bien eurent ilz cette permission d'aller et de venir pour empescher les plus sçavans de faire leurs besognes, tellement que quand il y en ha quelqu'un qui prend le bon chemin pour y parvenir, et que telle foys il ne luy fault quasi plus rien qu'il n'y touche, voicy un diablon qui vient rompre un alembic, lequel est plein de ceste matiere precieuse, et faict perdre en une heure toute la peine que le povre philosophe ha prise en dix ou douze ans, de sorte que c'est à refaire : non pas que les pourceaulx y ayent esté, mais les diables, qui valent bien pis[3]. Voylà la cause pourquoy

  1. Les alchimiste, dit M. Lacour, classent ces méchants démons parmi ceux que le sort a condammés à souffrir. S'il les faut croire, des six genres principaux de démons, « il n'y en a que trois espèces qui souffrent, pâtissent et endurent, à sçavoir les feu-fuyants, aquatiques et terrestres, et sont ceux que l'on appellent volontiers incubes et succubes. » (J. Tahureau, Dialogues ; Lyon, 1602, p. 231.)
  2. Les diables. On croyait autrefois que la folie ou l'estre des poëtes et des savants résultait de la présence d'un ver dans le cerveau : ce ver, qu'on avait jamais vu, se nommait ver coquin.
  3. Les pourceaux font beaucoup de dégats dans les champs ensemencés. Allusion aux démons que Jésus fit entrer dans des pourceaux au sortir du corps d'un possédé.