Page:Desnoiresterres - La jeunesse de Voltaire.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
ÉTUDE DE MAÎTRE ALAIN

l’imminence du danger, c’est l’appréhension très-fondée de voir se réaliser les mesures de rigueur dont, il était menacé.

Duvernet cite un fragment de lettre à son père où il fait dire à Arouet qu’il consentait à passer en Amérique et même à vivre au pain et à l’eau, pourvu qu’avant de partir il lui fût accordé d’embrasser ses genoux[1]. C’eût été même à la lecture de cette lettre que le payeur des épices de la chambre des comptes se fût attendri et eût pardonné, à la condition de laisser là le langage des dieux pour celui du Palais et de la chicane, et d’entrer chez un procureur au Châtelet. L’auteur futur d’Œdipe s’abaisser jusqu’au rôle de simple gratte-papier, descendre de la double colline et s’enfermer, tout vivant, dans cet autre sombre, maussade, fumeux, qu’on appelle une étude ! Il le fallait bien. Celle à laquelle la préférence fut donnée était l’étude de maître Alain, rue Pavée-Saint-Bernard, près les degrés de la place Maubert[2]. C’était sans doute bien plus un refuge momentané, un port de relâche durant la tourmente, que ce port définitif que l’exilé entrevoit au bout du voyage et qui est la patrie. La vocation n’avait pas changé : si l’on s’était soumis d’apparence, on s’était fait roseau, on avait plié pour ne pas être brisé, en attendant et le terme de la bourrasque et la venue des jours meilleurs.

Arouet avait donné son adresse « à M. Dutilli ; » il la change encore et élit domicile chez son patron : « Écrivez-moi : À M. le chevalier de Saint-Fort, chez

  1. Duvernet, Vie de Voltaire (Genève, 1786), p. 31, 32.
  2. 20 janvier 1714.