Page:Desnoiresterres - La jeunesse de Voltaire.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
L’ÉVÊQUE D’ÉVREUX.

instruit et dont il avait reçu une réponse à la Haye, le jour même de son départ ; il lui remit les trois lettres qu’il avait fait écrire à sa maîtresse et auxquelles il attachait une si grande importance. On se demande en quoi son ancien régent de Louis-le-Grand lui pouvait ùtre de quelque utilité. Il fallait bien charger quelqu’un d’une négociation où il ne pouvait, lui, figurer d’aucune sorte. C’était la religion, à laquelle on allait avoir recours, et c’était à un de ses ministres que l’on s’était adressé : il y avait une âme à arracher des mains de l’hérésie ; qui ne se fût prêté à une telle œuvre ?

Vous n’avez qu’un moyen pour revenir, écrivait Arouet dans une de ses lettres (20 janvier 1714) ; M. Le Normant, évêque d’Évreux, est, je crois, votre cousin ; écrivez-lui, et que la religion et l’amitié pour votre famille soient vos deux motifs auprès de lui ; insistez surtout sur l’article de la religion ; dites-lui que le roi souhaite la conversion des huguenots, et que, étant ministre du Seigneur, et votre parent, il doit, par toutes sortes de raisons, favoriser votre retour ; conjurez-le d’engager monsieur votre père dans un dessein si juste ; marquez-lui que vous voulez vous retirer dans une communauté, non comme religieuse pourtant, je n’ai garde de vous le conseiller… Ne manquez pas à le nommer Monseigneur…

Ainsi, ce même homme, dont plus tard le grand cri de guerre sera d’écraser l’infâme, va s’employer du meilleur de son cœur à ramener au bercail une brebis égarée ou dévoyée. Ses raisons, il est vrai, sont très-terrestres, très-personnelles ; s’il travaille pour le ciel, le ciel n’a pas grand gré à lui savoir. Ce contraste était à noter : inconséquence des événements sans doute plus que de l’homme, dont la vie n’est remplie, après tout, que de ces démentis du lendemain à la veille,