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AROUET PRISONNIER.

mère ne me fasse un affront qui rejaillirait sur lui et sur le roi, » mande-t-il à sa maîtresse. Quel parti prendre ? Ne reste-il donc qu’à se désoler stérilemeut, à se résigner et à s’en aller sans s’être même embrassés ? La nuit s’écoule pour lui à rêver aux moyens de se revoir, aux stratagèmes qui peuvent leur venir en aide, et à coucher sur le papier le résultat de cette veille fiévreuse. Le plan des deux amants était de fuir et de se jeter dans les bras de M. Dunoyer ; le coup qui les frappait ne pouvait changer en rien leurs projets, seulement la jeune fille n’aurait plus à compter que sur sa propre énergie. « Si vous balanciez un moment, lui écrivait Arouet, vous mériteriez presque tous vos malheurs : que votre vertu se montre ici tout entière, voyez-moi partir avec la même résolution que vous devez partir vous-même. « En attendant, voici les expédients qu’il a trouvés pour se ménager une correspondance qu’on s’efforcera inévitablement d’entraver de toutes les façons.

Je serai à l’hôtel toute la journée, envoyez-moi trois lettres, pour monsieur votre père, pour monsieur votre oncle et pour madame votre sœur ; cela est absolument nécessaire, et je ne les rendrai qu’en temps et lieu, surtout celle de votre sœur : que le porteur de ces lettres soit le cordonnier, promettez-lui une récompense ; qu’il vienne ici une forme à la main, comme pour venir accommoder mes souliers. Joignez à ces lettres un billet pour moi : que j’aie en partant cette consolation ; surtout, au nom de l’amour que j’ai pour vous, ma chère, envoyez-moi votre portrait, faites tous vos efforts pour l’obtenir de madame votre mère ; il sera bien mieux entre mes mains que dans les siennes, puisqu’il est déjà dans mon cœur. Le valet que je vous envoie est entièrement à moi ; si vous voulez le faire passer, auprès de votre mère, pour un faiseur de tabatières, il est Nor-