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SÉJOUR À CAEN.

cette époque. Il y fut relégué, nous est-il dit, par son père, qui craignait qu’il ne se gâtât tout à fait à Paris. Son renom de poëte le mit en belle posture dans l’Athènes normande, et il eut accès dans les meilleures sociétés, notamment chez madame d’Osseville, femme bel d’esprit, qui faisait des vers[1] et fut, un instant, éblouie par la verve intarissable et le génie facile du jeune Arouet. Mais cette dame était une muse chaste et orthodoxe que la terrible réputation qu’il ne tarda pas à se faire, dégrisa rapidement. Elle apprit qu’il récitait ailleurs des vers libertins contre la morale et la religion, et lui ferma tout aussitôt sa porte[2]. Un professeur de rhétorique des Jésuites, dont les désordres obtinrent dans la suite une si étrange célébrité[3], le père Couvrigny s’était lié avec lui, et professait la plus grande admiration pour ce talent naissant. Le manuscrit auquel nous empruntons ces détails trop explicites ne fait aucunement mention de l’année où Arouet se trouva comme égaré dans Caen, ni du temps qu’il y resta. Mais, ce qui revient au même, un recueil d’anecdotes toutes locales, publié il y a quelques années, nous donne l’époque où ce Père vint comme professeur de rhétorique au collège du Mont : « Le P. Couvrigny, de la compagnie de Jésus, nous dit l’obscur annaliste,

  1. La bibliothèque de Caen possède le recueil manuscrit des poésies de madame d’Osseville.
  2. Bibliothèque de Caen. Manuscrits. De Quens. R. M., p. 277 et 301.
  3. Chanson d’un inconnu nouvellement découverte et mise au jour avec des remarques, etc. (Turin, Alélophile 1737). — O. Desnos, Mémoires historiques sur la ville d’Alençon et sur ses seigneurs (Alençon, 1787), t. II, p. 523. — Nouvelles ecclésiastiques. Table raisonnée. 1re part., p. 291.