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LA CHAISE À PORTEURS.

quin ; je souhaite que tu trouves un maître aussi patient que moi ; » je menai mon père au Grondeur ; je priai l’acteur d’ajouter ces paroles à son rôle, et mon bonhomme de père se corrigea un peu[1]. » Voltaire rentrait tard, et on dormait depuis longtemps au logis quand il se décidait à en reprendre le chemin. Son père, pour le contraindre à rentrer de meilleure heure, fit fermer les portes à double tour et se munit des clefs. Voilà donc le poëte dehors, des mieux installé pour rimer à la belle étoile, en supposant qu’il se trouvât d’humeur à rimer, et qu’il y eût des étoiles. En désespoir de cause, et après avoir longtemps frappé, il va demander un refuge au portier du palais, qui n’avait pas de lit à lui donner et qui, faute de mieux, lui conseilla de se blottir dans une chaise à porteurs stationnant dans la cour, ce qu’il ne manqua pas de faire. Deux conseillers, arrivant au palais de grand matin, l’aperçurent en passant, et conçurent aussitôt le projet de lui jouer un tour de leur façon. Ils le firent transporter au café de la Croix de Malte, sur le quai neuf, où, à son réveil, il se vit le but des plaisanteries et des sarcasmes des habitués du lieu[2].

On sait que le parlement ne se composait pas exclusivement de barbes grises et que si nos régiments avaient à leur tête parfois des colonels encore à la férule, comme on l’a vu pour le régiment de Soubise,

  1. Voltaire, Œuvres complètes (Beuchot), t. LXVIII, p. 347, 348. Lettre de Voltaire à La Harpe j 28 janvier 1772.
  2. Lepan, Vie de Voltaire (Paris, 1824), p. 62. — Paillet de Warcy, Histoire de la vie et des ouvrages de Voltaire Paris, 1824), t. I, p. 16.