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UN ÉQUIPAGE DE RENCONTRE.

de Sulli, après ces nuits passées dans l’orgie et les débauches de l’esprit, qu’il prêtât une oreille empressée et attentive au latin pédantesque et plein de solécismes du professeur, dans une salle qui avait tout l’aspect d’une grange, car alors la jeunesse n’était pas gâtée, et ce n’était point dans des palais qu’on lui déversait la science[1] ?

On devait s’attendre à bien des incartades, à bien des folies ; on en débitait de toutes les sortes, qu’on ne manquait pas d’embellir, quand on ne les inventait pas absolument. Une grande dame, qui faisait prefession de bel esprit, l’avait choisi pour corriger ses vers, pour en être le teinturier, dirait-on de nos jours. Probablement, s’acquitta-t-il de sa tâche au grand contentement de la duchesse ; au moins celle-ci récompensa-t-elle son collaborateur assez généreusement, par une bourse de cent louis. Jamais il ne s’en était vu autant. Que faire de cette fortune qui lui parut intarissable ? En traversant la rue Saint-Denis, ses regards se portent sur un carrosse, des chevaux, des habits de livrée, qu’on vendait à l’encan. Il achète tout, passe une journée de déhces traîné par ses chevaux, qui le versaient à l’angle de la rue du Long-Pont (une rue où il devait habiter et être amoureux plus tard, mais sans lui faire le plus petit mal. Après s’être montré à tous ses amis dans cet attirail de prince, après avoir soupe eu ville, il fallait bien rentrer, et ce fut alors qu’il s’aperçut de l’embarras des richesses. Il avait payé des gens pour endosser sa livrée de ren-,

  1. Duvernet, Vie de Voltaire (Genève, 1786), p. 23.