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SORTIE CONTRE LE LYRIQUE.

riade ne fait là que défendre sa figure ; mais que penser des lignes suivantes :

Il aurait dû ajouter qu’il me fit cette visite parce que son père avait chaussé le mien pendant vingt ans et que mon père avait pris soin de le placer chez un procureur, où il eût été à souhaiter pour lui qu’il eût demeuré, mais dont il fut chassé pour avoir désavoué sa naissance. Il pouvait ajouter encore que mon père, tous mes parents, et ceux sous qui j’étudiais, me défendirent alors de le voir, et que telle était sa réputation, que, quand un écolier faisait une faute d’un certain genre, on lui disait : « Vous serez un vrai Rousseau. »

Voltaire ne pouvait parler de Rousseau de sang-froid. « C’est là que l’homme reste et que le héros s’évanouit, écrivait de Cirey même madame de Grafigny à un de ses amis ; il serait homme à ne point pardonner à quelqu’un qui louerait Rousseau[1]. » Il était capable des plus affreux discours, et très-capable même de calomnie à l’égard de celui-ci, qui le lui rendait bien, mais plus souterrainement. Il ne faudrait donc pas croire sans contrôle ce qu’il dit plus haut, quoiqu’il y ait déjà une énorme distance entre l’allégation d’un fait mensonger et la couleur qu’on peut donner à un fait vrai. Que Voltaire répète ce mauvais bruit qui avait couru sur Jean-Baptiste à propos d’une certaine reconnaissance à la Comédie-Française, qu’il noircisse ses mœurs et sa conduite ; il brode plus ou moins sur un fond réel ou réputé véritable. Mais M. Arouet père a ou n’a pas fait entrer chez un procureur le fils de son cordonnier, et vraiment il serait trop fort que Voltaire

  1. Madame de Grafigny, Vie privée de Voltaire et de madame du Châtelet (Paris, 1820), p. 8.