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ODE À SAINTE GENEVIÈVE.

qui n’est pas sans vraisemblance et qu’il n’a pas dû complètement inventer.

Arouet, aux yeux de ses maîtres et de ses condisciples, était bien un fils d’Apollon, et il n’y avait pas à se méprendre sur sa vraie vocation. Si le père Porée avait introduit les vers français à Louis-le-Grand[1], cela n’empêchait pas que l’on en fît de latins, et que les vers latins, comme ça allait de droit, ne tinssent le haut du pavé. Le père Lejay, qui s’exprimait si mal dans sa langue, était, en revanche, fort éloquent dans celle de Virgile et d’Horace. Il venait de composer une ode sur sainte Geneviève ; Arouet, soit pour faire sa paix, soit que cela lui fût imposé à titre de pensum, se mit à la traduire en onze strophes, qui ne manquent ni de nombre ni de noblesse même, et qui valent à coup sûr, comme forme et mouvement, les trois quarts des odes de Larnotte. Une circonstance assez piquante, c’est que le futur auteur de la Pucelle est amené, par les exigences de la traduction, à mettre aux pieds de cette patronne de Paris, dont son tombeau plus tard devait avoisiner la châsse, la seule offrande qu’il lui pouvait faire, celle de ses écrits :

Les Indes pour moi trop avares,
Font couler l’or en d’autres mains :
Je n’ai point de ces meubles rares
Qui flattent l’orgueil des humains.

  1. Cette innovation n’avait pas rencontré un assentiment unanime. Lorsque le père Dubauderi, successeur du père Porée, récita sa première harangue, le cardinal de Polignac, « qui d’ailleurs estimait le père Porée pour le fonds de son génie, » dit en sortant : « Voilà le bon goût du latin revenu au collège. » De Quens. R. M. p. 241. (Bibliothèque de Caen. Manuscrits.)