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ÉTRENNES AU DAUPHIN.

bout d’une demi-heure, le vieux soldat emportait ces vingt vers :

Noble sang du plus grand des rois,
Son amour el son espérance,
Vous qui, sans régner sur la France,
Régnez sur le cœur des François,
Pourrez-vous souffrir que ma veine,
Par un effort ambitieux,
Ose vous donner une étrenne,
Vous qui n’en recevez que de la main des dieux ?
La nature en vous faisant naître,
Vous étrenna de ses plus doux attraits
Et fit voir dans vos premiers traits
Que le fils de Louis était digne de l’être.
Tous les dieux à lenvi vous firent leurs présents :
Mars vous donna la force et le courage ;
Minerve, dès vos jeunes ans,
Ajouta la sagesse au feu bouillant de l’âge ;
L’immortel Apollon vous donna la beauté :
Mais un dieu plus puissant, que j’implore en mes peines,
Voulut me donner mes étrennes,
En vous donnant la libéralité.

La petite requête en vers obtint le résultat qu’on en attendait, en valant quelques louis d’or à l’invalide. Elle valut encore à Arouet un succès qui, cette fois, ne se borna pas aux applaudissements de ses régents. On en parla à Paris et à Versailles, et, s’il fallait en croire le Commentaire historique, ce fut elle qui inspira à Ninon l’envie de voir le précoce auteur, ce fut à elle qu’il dut le souvenir charmant qu’elle lui laissa par testament.

L’abbé de Châleauneuf me mena chez elle dans ma plus tendre jeunesse. J’étais âgé d’environ treize ans. J’avais fait quelques vers qui ne valaient rien, mais qui paraissaient fort bien pour