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venus au Palais-Royal dans le même dessein que moi, quelques citoyens passifs les suivoient : Messieurs, leur-dis-je, voici un comencement d’attroupement civique ; il faut qu’un de nous se dévoue, et monte sur une table pour haranguer le peuple. — Montez-y. — J’y consens. — Aussitôt je fus plutôt porté sur la table que je n’y montai. À peine y étois-je, que je me vis entouré d’une foule immense. Voici ma courte harangue, que je n’oublierai jamais :

„ Citoyens ! il n’y a pas un moment à perdre. J’arrive de Versailles : M. Necker est renvoyé : ce renvoi est le tocsin d’une Saint-Barthélemi de patriotes ; ce soir tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champs-de-Mars pour nous égorger. Il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes, et de prendre des cocardes pour nous reconnoître.

J’avois les larmes aux yeux, et je parlois avec une action que je ne pourrois ni retrouver, ni peindre. Ma motion fut reçue avec des applaudissemens infinis. Je continuai : — Quelles couleurs voulez-vous ? — Quelqu’un s’écria : — Choisissez. — Voulez-vous le vert, couleur de espérance, ou le bleu de Cincinnatus, couleur de la liberté d'Amérique