Page:Desjardins - Esquisses et Impressions, 1889.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il va chercher de bizarres accouplements de mots pour se bien prouver que sa phrase ou son vers n’a encore été fait par personne. Il est moins soucieux de se ressembler à lui-même que de ne pas ressembler aux autres. La réflexion terrible et vraiment décadente de La Bruyère : « Tout est dit et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent… », le hante et le tient sans cesse en éveil. En cela comme en tout le reste, ce grand artiste du rythme est vraiment un Alexandrin de la cour des Ptolémées. Il a traduit Théocrite mieux qu’Homère, dont la grâce ionienne et indéterminée lui échappe ; je n’en suis pas surpris : il est un des contemporains de Théocrite ; il en a l’érudition, l’habileté manuelle, l’effort vers l’originalité, l’absence de physionomie, de geste, d’accent, enfin de tout ce qu’on entend par le naturel. Merveilleux artiste après cela et, en certaines parties, impérissable.

M. Leconte de Lisle met sa force de précision dans les mots plutôt que dans les pensées. Il a cependant une philosophie : M. Paul Bourget et M. Jules Lemaître l’ont vue et l’ont même trouvée profonde ; il faut donc qu’elle le soit. D’abord une philosophie de l’histoire, qui ressemble un peu trop, pour mon goût, à celle de M. Madier de Montjau : l’Inquisition, la Saint-Barthélémy, la révocation de l’Édit de Nantes, enfin les atrocités qu’on voit dans les musées de figures de cire, voilà le résumé des temps anciens. Cela explique, dans les Poèmes tragiques, la pièce des Siècles maudits, et beaucoup d’autres ; cela explique aussi, dans le dis-