Page:Descharmes - Flaubert, 1909.djvu/452

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 430 —

La perfection de la forme avait, à ses yeux, Timportance prépondérante que lui reconnaissait aussi Flaubert Nul plus que lui ne se montra soucieux du mot juste, de l’expression définitive qui fait image et traduit complètement l’idée. D’ailleurs entre le fond et la forme il concevait également une intime union et « tâchait de bien penser afin de bien écrire » (1). Ses poésies tiennent en un volume dont la moitié seulement fut imprimée de son vivant : s’il produisit peu, ce n’est pas qu’il fût à court d’inspiration ; rien n’est plus varié que le choix de ses sujets ; mais estimant a que cent vers, peut-être moins, suffisent à la réputation d’un artiste s’ils sont irréprochables )) (2), il employa toute son application à les faire tels, et il convient d’ajouter qu’il y a souvent réussi. Peu soucieux du succès ou de la gloire, plus irréductible encore que Flaubert sur la nécessité de publier ses œuvres, de se faire valoir, de forcer l’opinion en sa faveur, à la fois trop naïf et trop détaché pour posséder au moindre degré, le sens pratique de la vie (3), il ne visait qu’à se satisfaire lui-même. Le sonnet intitulé

(1) Préface des dernières chansons. On lit dans le journal L’Autographe {directeur H. de Villemessanl) du l*"^ juin 1872, page 110, ces deux réflexions signée.s de Bouilhet : « Les pensées sont des clous qui retiennent la draperie du style. — Les vers sout comme des coupes où le poète verse sa pensée : un vers est bon quand il est plein jusqu’aux bords ».

(2) Maupassaut, Étude sur le Roman, eu tète de Pierre et Jean. Comparez dans les Dernières chansons :

Un seul beau vers est une source
Qui dans les siècles coulera.
Dix ans peut-être on pleurera
Quelques mots trop prompts à la course.
La stropbe aux gracieux dessins.
Où l’œil eu vain cherche une faute,
N’est pus d’une valeur moins haute
Que la relique de nos saints.
(Imité du chinois.)

(3) Et, par un contraste amusant, c’est Flaubert, malgré l’horreup que lui inspiraient les démarches, les visites aux critiques, les discussions d’intérêts matériels avec les directeurs de théâtres, qui s’entremettait pour faire jouer et réussir les drames de Bouilhet. On est tout surpris de lire les conseils qu’il lui donnait, alors que pour lui-même il répugnait à les mettre en pratique : « Tu as refusé de fréquenter un tas de gens,.laniu, Dumas, Guttinger, etc., chez lesquels tu aurais pu nouer des camaraderies… Tu ne sais pas assez l’importance des petites choses dans le pays des petites gens. A Paris le char d’Apollon est un fiacre, la célébrité s’y obtient à force de courses {Corresp., III, 16 ; 1855). —Voilà je crois ce