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AUTOUR DE « BOUVARD ET PÉCUCHET »

sur l’autorité duquel ils vont s’appuyer cependant — faute de le comprendre — pour faire bon marché de la nomenclature. Omalius d’Halloy a proposé, vers 1830, une classification qui lui appartient en propre et dont les principes et les mots diffèrent de ceux sur lesquels reposent les classifications antérieures. Il est si loin de nier la valeur et l’importance des divisions géologiques qu’il y consacre tout un chapitre de ses Éléments de géologie (1) et qu’en manière de conclusion, pour fixer les idées, il dresse, à la fin de son livre, selon sa méthode, trois tableaux synoptiques, — l’un des propriétés et des caractères qui servent à distinguer les minéraux et les roches, l’autre des roches elles-mêmes, le troisième enfin des terrains repartis en classes, ordres, groupes spéciaux, étages, systèmes et « membres » — le tout accompagné de termes techniques le plus souvent créés par lui-même. — Mais Bouvard et Pécuchet ne prêtent aucune attention à ces tableaux ni aux discussions qui s’y rapportent. Du livre entier de ce géologue, qui n’est pas sans avoir quelques idées originales, ils n’ont retenu que cette boutade : « Il résulte de cet état de choses que toutes ces divisions que l'on a établies pour classer les terrains ont éprouvé beaucoup de variations et que, loin d’être d’accord à ce sujet, chaque géologiste a pour ainsi dire sa méthode particulière » (2). La phrase — qui n’est pas très française — constate un fait regrettable ; mais elle n’équivaut pas du tout à la négation de l’importance que peut avoir une bonne et complète nomenclature géologique. Bouvard et Pécuchet s’y trompent une fois de plus ; ils exagèrent tout au moins beaucoup quand ils déclarent « qu'Omalius d’Halloy nous prévient qu’il ne faut pas croire aux divisions géologiques » (3). A la vérité, ils se sont tout simplement emparés, sans en comprendre le contexte, d’une réflexion qui semblait les dispenser eux-mêmes d’essayer plus longtemps de s’assimiler des notions arides où ils s’embrouillaient : preuve nouvelle de la méconnaissance profonde qu’ils ont des nécessités de la véritable géologie.

Immédiatement après cette allusion à Omalius d’Halloy vient, dans le roman, un bref alinéa qui demande encore quelques commentaires. Flaubert écrit :

« Cette déclaration [qu’il ne faut pas croire aux divisions géologiques] les soulagea ; et, quand ils eurent vu des calcaires à polypiers dans la plaine de Caen, des phyllades à Balleroy, du kaolin à Saint-Blaise, de l’oolithe par-


(1) Paris, Levrault, 1831. In-8".

(2) Éléments de géologie, p. 80.

(3) Bouvard et Pécuchet, p. 108.