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Et votre frais château, que d’avance j’aimais,
Qui sera déjà noir… si j’y reviens jamais,
Il faut que je vous parle ; et vous, petite folle,
Comme au lit d’un mourant pesez chaque parole.
Je ne le voulais pas, mais c’est toujours ainsi,
Votre mère le veut et je le veux aussi.
Je ne le voulais pas ; car j’ai l’âme si sombre,
Que c’est pitié vraiment qu’elle verse son ombre
Sur vos regards en feu, sur votre joue en fleur.
Vous demandez pourquoi je souffre, et quel malheur ?…
Eh ! mon Dieu ! qui voudrait recommencer sa vie
Au prix des maux qui l’ont de jour en jour suivie !
Quel malheur ?… Un destin manqué… Paris à voir…
Un chaos de pensers que nul ne doit savoir,
Vœux déçus, repentirs : lames empoisonnées,
Couleuvres dans le cœur sans cesse retournées ;
Ou des rêves dorés, un fantôme charmant
Qu’emporte chaque aurore impitoyablement ;
Ou des amis jetés loin de nous… quelque femme
Qui jouait un caprice à peine contre une âme ;
Ou le mal lent et sourd d’un cœur qui se souvient
Des morts… ou bien peut-être est-ce l’âge qui vient !…
C’est tout cela. — Donc, moi, je suis sombre et morose,
Comme vous, mon enfant, vous êtes blanche et rose.


Et puis, je ne suis pas de ces flatteurs d’enfans,
Qui se pâment d’un mot, et s’en vont, triomphans,
Le conter à la mère, en criant au miracle !…
Bien ! dix ans de Paris, et ce petit oracle
Sera quelque bégueule ou quelque fat musqué,
Bons à parler herbault, ou danseuse, ou jockei,