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Où sont mes rocs brûlans, mes fraîches promenades,
Les cris de l’aigle à jeun, le fracas des cascades,
Les soupirs des forêts et des beaux lacs ! — au lieu
De ces grands bruits, qui sont comme la voix de Dieu,
C’est la voix des crieurs de la Bourse, Gomorrhe
Qu’il faudra bien qu’un jour le feu du ciel dévore !…
Le chagrin est plus noir dans la noire cité…
Et partout le brouillard, comme un crêpe, jeté !…
La pâle aurore touche au pâle crépuscule ;
Ce monde est triste à voir, et le soleil recule…
Deuil au ciel !… Deuil au cœur !…

— Quel magique univers
Rejette, éblouissant, le linceul des hivers ?
Pour un soleil mourant, des milliers de bougies,
Et splendides galas, et dansantes orgies,
Et fleurs de mousseline, et femmes de satin,
De leur nocturne joie insultant le matin ;
Et musique de Naple, anglaises tragédies,
Bayadère de l’Inde, avec rage applaudies,
Et grands drames nouveaux, et systèmes changeans,
Pour qui, sans y rien voir, se battent tant de gens ;
Et les Diorama, Néorama… que sais-je ?
Et le Musée ouvrant ses salles où Corrége
Revit avec Rubens, Rembrandt et Canova,
Sous des noms, jeune espoir du vieux siècle qui va ;
Et romans de l’enfer, céleste poésie,
Double ivresse de punch brûlant et d’ambroisie ;
Et tout le jour, ainsi qu’à Moscou, les traîneaux ;
Comme à Gênes, les soirs, masques et dominos ;
Et, dans les salons d’or, les longues causeries
D’aventures, de guerre et de galanteries…