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MARIVAUX.

choses ; car je ne pense pas que vous voyiez plus clair dans celles que vous croyez.

— Chacun a sa façon de voir », répond l’autre, un peu interloqué.

Et le « vrai philosophe », abusant de sa victoire réplique aussitôt :

« Franchement, je comprends bien qu’avec la vôtre, on marche hardiment dans les ténèbres. »

Ce n’est pas nuire à la mémoire de Marivaux, que d’affirmer, après avoir lu cette réfutation expéditive, qu’il n’avait point l’esprit très philosophique. Cet observateur, très expert aux analyses morales, n’avait aucun goût pour la logique abstraite. S’il répugnait au scepticisme, ce n’était point par raison démonstrative. Il penchait, par bonté, vers un dogmatisme consolant. Le respect des choses saintes lui semblait indispensable au bonheur de l’humanité. Les misérables seraient trop à plaindre, si Dieu n’existait pas. Telle est, à peu près, son opinion sur ce chapitre. Ce n’est pas lui qui a prononcé cette phrase brutale : « Il faut de la religion pour le peuple ». Sa délicatesse native le rendait incapable d’un aphorisme aussi monstrueux. Mais, au témoignage de d’Alembert, il n’aurait pas voulu « enlever à la pauvre espèce humaine cette consolation que la Providence divine lui a ménagée ».

Les personnes qui sont douées de la disposition amoureuse étendent d’ordinaire aux choses sacrées ce qu’elles réservent plus volontiers à des objets profanes. Dans la cinquième feuille du Cabinet du Philosophe, Marivaux a marivaudé avec grâce sur l’Amour de Dieu :