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MARIVAUX JOURNALISTE.

inconvénient, se donner pour un chrétien très rigoureux sur la doctrine. Son directeur de conscience eût jugé qu’il sentait un peu le fagot. Il pensait d’ailleurs que « la dévotion nous éloigne du monde, sans le plus souvent nous rapprocher de Dieu ». Mais sa douceur naturelle, son esprit délicat, son tact répugnaient à l’incrédulité phraseuse, à la pose irréligieuse et anticléricale. Il voyait, dans l’impiété, moins une erreur de la raison qu’une sécheresse du cœur. D’Alembert rapporte qu’il se moquait des mécréants. « Ils ont beau faire, disait-il, ils seront sauvés malgré eux. » Il dit un jour à un esprit fort : « Monsieur, il faut vous y résigner, vous irez tout droit dans le paradis ». L’esprit fort se retira, très offensé.

La quinzième feuille du Spectateur français est destinée à montrer les inconséquences du scepticisme dans la personne d’un jeune fat qui entreprend de discuter avec un vrai philosophe. Ce dialogue est mené avec une partialité trop visible. Le « jeune fat » ne dit que des sottises, comme cet « avocat du diable » dont certains prédicateurs triomphent aisément. Il expose, à bâtons rompus, un « système étourdi », où l’on trouve « un peu de libertinage, beaucoup de vanité et force ignorance ». Si bien que le « vrai philosophe » meurt d’envie de rire, et clôt la discussion par cette petite mercuriale :

« En vérité, mon cher monsieur, vous vous moquiez tout à l’heure de la crédulité des bonnes gens ; mais si vous croyez votre système, vous n’avez rien à leur reprocher, je vous garantis plus crédule qu’eux. Je vois bien que ce n’est pas le défaut d’évidence qui vous empêche d’ajouter foi à de certaines