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MARIVAUX.

vous avez vu la jeunesse en proie à la fureur des derniers besoins ? Malheur à toi que la faim dévore ! Veux-tu du pain ? deviens infâme, et je t’en accorde.

Voilà un morceau qui n’est pas mal venu. Les belles filles du temps de la Régence n’étaient pas accoutumées à des rencontres si providentielles dans des lieux fréquentés et passants. On y sent le cœur d’un galant homme et la main d’un homme de théâtre. On y trouve, de plus, comme le résumé de la morale élégante qui a régi toutes les pensées et toutes les actions de Marivaux. Ce n’est pas assurément une morale de stoïcien. Le goût, la bonté, l’honneur, la sensibilité y ont plus de part que les principes abstraits de la philosophie. Ce sont moins des principes raisonnés que des inclinations sentimentales. Mais telle qu’elle est, cette morale est encore trop rare, trop précieuse, trop efficace, pour qu’on ait le courage d’en remarquer les imperfections. Cette vertu d’un galant homme, éloigné du mal par la laideur du vice, préservé de la chute par l’horreur de la souffrance humaine, peut suffire à diriger de nobles consciences. Nous n’avons pas le droit de nous montrer difficiles pour cette honnêteté sans faste, sans doctrine et sans ostentation.

L’orthodoxie morale de Marivaux était-elle appuyée sur des croyances religieuses ? « Il était très éloigné, dit d’Alembert, d’afficher la dévotion. » Cet honnête homme devait, en effet, ne se piquer de rien, et des façons bigotes n’eussent pas été d’accord avec le genre de vie où ses aptitudes, ses goûts, ses occupations, l’avaient conduit. L’ami de la célèbre Silvia, l’auteur du Triomphe de l’Amour n’aurait pu, sans