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MARIVAUX JOURNALISTE.

scrupuleuse morale. Il méprisait les gens de finance, et il écrivit contre eux, en 1728, une sorte de satire dialoguée, qui s’intitule le Triomphe de Plutus. Ses gazettes sont remplies de tirades qui peuvent paraître aujourd’hui vieillies et fanées, mais où se marque une sincère noblesse de sentiments. Ceci, par exemple :

Qu’il est triste de voir souffrir quelqu’un, quand on n’est point en état de le secourir, et qu’on a reçu de la nature une âme sensible qui pénètre toute l’affliction des malheureux, qui l’approfondit involontairement, pour qui c’est comme une nécessite de la comprendre et de ne rien perdre de la douleur qui en peut rejaillir sur elle-même !…

La pitié, chez lui, était avivée, endolorie par la finesse d’âme. Ses réflexions morales tournent parfois au sermon. Mais ses exhortations sont toutes laïques, pour ainsi dire. C’est au nom d’une vertu mondaine qu’il s’encourage à bien faire, et qu’il y encourage les autres.

Il rencontra un soir, au détour d’une rue, une jeune fille, qui avait l’air honnête mais pauvre, et qui pleurait à chaudes larmes. Il eut la tentation de fuir, afin d’échapper à « l’intérêt douloureux » qu’elle commençait à lui inspirer. Il demeura.

« Qu’avez-vous, mon enfant ? demanda-t-il avec bonté. Pourquoi pleurez-vous ?

— Hélas ! monsieur, répondit-elle. Je suis dans un état affreux. »

L’auteur du Don Quichotte moderne essaya encore de « se débarrasser de la pitié qu’elle lui faisait éprouver ». Mais il jugea que « ce ménagement