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MARIVAUX.

de gens amoureux, parce que, selon ce philosophe, les amoureux deviennent invincibles lorsqu’ils songent à leurs maîtresses. Au reste, il parle de ce sujet avec un émoi sincère et visible, mais sans exaltation. Son cœur n’est pas la dupe de son esprit ; mais son esprit est toujours prompt à parer le langage de son cœur. Il prête son style à tous les personnages qu’il fait parler. On trouve, dans le Spectateur français et dans le Cabinet du philosophe, une copieuse variété de lettres, particulièrement des lettres de femmes. L’auteur prétend qu’il les a reçues de ses lectrices. C’est une innocente malice, imitée d’Addison. On trouverait sans peine, dans les deux recueils de Marivaux, les éléments d’un Secrétaire galant, mais de qualité fine. Ces épîtres sont presque toutes des confessions. Voici, par exemple, une jeune fille, qui raconte comment elle laissa voir, malgré elle, une inclination naissante, qu’elle cherchait, non sans effort, à dissimuler.

« J’évitai, dit-elle, de me trouver seule avec lui, et je ne sais pourquoi je l’évitai ; car j’aurais été bien aise que l’occasion de me parler se fût trouvée malgré moi. Je crus m’apercevoir qu’il m’observait tendrement, pendant que nous étions en compagnie, et il vit bien que je m’empêchais de l’observer à mon tour. »

Ailleurs, c’est une demoiselle qui se juge trop bien élevée, qui se plaint de l’éducation un peu surannée que lui inflige une mère trop fidèle aux vieilles traditions. Sur ce point, Marivaux partage encore l’opinion de son amie Mme de Lambert, laquelle disait : « Les enfants aiment à être traités en