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MARIVAUX.

Cette allégorie, un peu froide, mais très significative, pourrait servir de sujet à une tapisserie dans le goût ancien. Marivaux ne s’en tient pas à cette esquisse, maintenant déteinte comme un trumeau du siècle passé. Il insiste, il tient absolument à nous conter des apologues.

Il y avait une fois un jeune héros qui a dut à son attachement pour une aimable et vertueuse personne l’estime et l’admiration que son siècle eut pour lui ». Suit l’énumération de toutes les qualités dont ce héros fut orné par cette bienfaisante passion. Son orgueil, un peu excessif, devint une fière et séduisante dignité. Son courage, un peu aveugle, « sujet à se souiller du sang d’un ennemi vaincu », devint clément, doux aux faibles, compatissant pour le malheur. Quels ne sont pas les miracles accomplis par l’amour ? On dirait que Marivaux a lu, dans les contes de Boccace, l’aventure de Chimon, ce balourd de Chypre, qui devint un gentilhomme accompli, dès le jour où il vit la belle Éphigène dormir à l’ombre des bois. On cite des a ivrognes devenus sobres », des « débauchés devenus sages », des « avares faits généreux », des « menteurs corrigés de leur vice par la honte de devenir méprisables », des « brutaux ramenés à un caractère plus doux et plus sociable ». Ce sont d’« habiles gens dans les arts, à qui l’Amour inspira de l’émulation, et qui crurent leurs maîtresses dignes de la gloire d’avoir des amants illustrés par de grands talents » ; ce sont enfin « des coquettes dont l’Amour a réformé les manières, qu’il a guéries de cette insatiable avidité de plaire, et qui ont senti qu’une pudeur scrupuleuse était le plus