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MARIVAUX.

petites gens comme nous. Il ne nous appartient pas de voir ces beautés-là. Cela est bon pour vous autres gens qui avez votre pain cuit, et qui avez le temps de consumer votre journée à ne rien faire. Voyez-vous, monsieur ! quand on a de l’ouvrage qu’il faut rendre, sous peine de jeûner sans en avoir envie, le cheval de bronze marcherait de ses quatre pattes, que j’aimerais, pardi ! mieux le croire que de l’aller voir. Les fainéants ne valent rien à suivre. C’est une compagnie qui n’est pas saine pour ceux-là qui n’ont pas le moyen d’être comme eux. »

Marivaux sourit. Le savetier continua : « Tenez, voilà quatre escabeaux dans ma boutique ! Je suis content comme un roi avec cela et mes savates. Je m’en accommode à merveille, quand je ne m’amuse pas à regarder toutes ces braveries-là. Mais sitôt que je vois tant de beaux équipages, et tout ce monde qu’il y a dedans, mes escabeaux et mes savates me fâchent, je deviens triste, je n’ai plus de cœur à l’ouvrage. Pardi ! puisque Dieu m’a fait pour raccommoder de vieux souliers, il faut aller mon train, laisser là les autres, et vivre bon serviteur du roi et des siens. Le reste n’a que faire de moi ni moi du reste. J’en serai bien mieux, quand j’aurai été courir la pretantaine et gagner plus d’appétit qu’à moi n’appartient d’en avoir ! Vous ne savez pas ce que c’est que d’être savetier ; cela vous passe. »

Il faut considérer le Spectateur français et aussi le Cabinet du philosophe, autre recueil qui devait paraître tous les samedis et s’arrêta court, non seulement comme un gagne-pain auquel Marivaux dut