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MARIVAUX JOURNALISTE.

était âgée de cinq ans et demi. Elle venait pour épouser Louis XV, qui en avait quinze, et qui, comme on sait, ne l’épousa point. Elle fut logée dans cette partie du Louvre dont le jardin s’est appelé, depuis ce temps, le Jardin de l’Infante. Marivaux alla voir ce spectacle, et en profita pour moraliser comme suit :

Ami lecteur, je me sens aujourd’hui dans un libertinage d’idées qui ne peut s’accommoder d’un sujet fixe.

Je viens de voir l’entrée de l’Infante. J’ai voulu parcourir les rues pleines de monde. C’est une fête délicieuse pour un misanthrope, que le spectacle d’un si grand nombre d’hommes assemblés. C’est le temps de sa récolte d’idées. Cette innombrable quantité d’espèces de mouvements forme à ses yeux un caractère générique. À la fin, tant de sujets se réduisent en un ; ce ne sont plus des hommes différents qu’il contemple, c’est l’homme considéré dans plusieurs milliers d’hommes.

Tandis que Marivaux méditait ainsi, il aperçut, paraît-il, un savetier qui ressemelait une paire de bottes, dans son échoppe, sans se soucier de la fête. Ce savetier pensif « jetait, de temps en temps, ses regards sur cette foule de gens curieux qui s’étouffaient, et il critiquait ensuite leur curiosité, en haussant les épaules d’un air de pitié ».

Marivaux eut envie de voir de près ce « philosophe subalterne », et d’« examiner quelle forme pouvaient prendre les idées philosophiques dans la tête d’un homme qui raccommodait des souliers ». Il entra dans l’échoppe, et dit :

« Comment ! vous travaillez pendant que vous pouvez voir de si belles choses, mon bon homme ! »

Et le savetier répondit à peu près en ces termes :

« Pardi ! monsieur, cela est trop beau pour de