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SES DÉBUTS DANS LE MONDE ET AU THEÂTRE.

faisais aisément. » Cette œuvre était, en effet, bien plus une amusette de salon qu’une pièce de théâtre. Elle plut à la lecture et déplut sur la scène. C’est assez le sort ordinaire des divertissements mondains, moins faits pour la représentation publique, que pour le répertoire des châteaux.

L’Île de la Raison transportait les spectateurs en de trop bizarres contrées. On voyait , dans cet ouvrage, imitation peu adroite de l’immortel Gulliver, on voyait, après un prologue d’une rare froideur, huit Européens (dont un Gascon) qui abordaient dans une île déserte. Ces huit Robinsons deviennent soudain aussi petits que des Lilliputiens. Pourquoi ? C’est que, dans le pays où le sort les a poussés, on rapetisse dès qu’on cesse d’être raisonnable. Voilà pourquoi la comtesse et sa suivante (qui sont, coquettes), le Gascon (qui est hâbleur), le médecin (qui est morticole), le poète (qui est « laxatif »), le courtisan (qui est naturellement perfide), Blaise, le paysan (qui est cupide et ivrogne), cessent, comme par enchantement, d’être visibles à l’œil nu.

Cette « fiction », malgré quelques jolis traits, semés çà et là, ne pouvait que déconcerter le public et l’ennuyer. Il n’en faut retenir qu’une preuve nouvelle de cette ténacité de l’esprit et du cœur, avec laquelle Marivaux faisait profession de s’attacher à la Raison.

Il est toujours malaisé d’ailleurs de dire si l’échec d’une pièce de théâtre doit être attribué à l’inhabileté de l’auteur ou à la malice du public. Marivaux écrivit toujours un peu trop vite. Il poussait la sincérité jusqu’à s’interdire les brouillons et les