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MARIVAUX.

Cependant, elle se plaignait de « ne point saisir toute la finesse de son rôle ». Elle désirait connaître l’auteur, afin d’être initiée à toutes les nuances de sentiment et de pensée qu’elle voulait atteindre. Un soir, on frappe à la porte de sa loge. C’est un admirateur qui désire lui présenter ses compliments. La conversation s’engage précisément sur la Surprise de l’Amour.

« C’est une comédie charmante, dit Silvia, mais j’en veux à l’auteur : c’est un méchant de ne pas se faire connaître, nous la jouerions cent fois mieux s’il avait seulement daigné nous la lire. »

L’autre alors, prenant une des scènes les plus jolies de cette pièce, se mit à la lire avec de légères inflexions, qui exprimaient à merveille les moindres sentiments des personnages.

« Ah ! monsieur, s’écrie la comédienne. Vous êtes le diable ou vous êtes l’auteur. »

Ce n’était point le diable, c’était l’auteur, Marivaux en personne, qui, selon l’usage des gens du monde, n’avait point voulu faire imprimer son nom sur l’affiche, et qui se trouvait ainsi découvert.

Dès lors, une amitié durable s’établit entre Marivaux et l’agréable Silvia. On ne sait s’ils allèrent plus loin que l’amitié. On ignore si cette sympathie mutuelle devint une liaison dangereuse. Silvia (quoi qu’en ai dit Sainte-Beuve qui se porte garant de sa vertu), Silvia n’était point farouche, et son mari, un comédien nommé Balletti, le « Jaloux » de la troupe, lui faisait souvent des reproches qui semblaient justifiés. Elle n’était sans doute pas plus cruelle que la brune Sidonie, chère à M. de la