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SES DÉBUTS DANS LE MONDE ET AU THEÂTRE.

manières, son affabilité riante, l’agrément de son esprit lui attiraient, bien qu’elle ne fût qu*une comédienne, ce genre d’hommages que l’on réserve ordinairement aux femmes du monde. Sa loge était fort recherchée. On y venait pour causer. Son jeu était plus spontané que savant. Nul professeur de Conservatoire ne lui avait enseigné la mécanique des gestes traditionnels ni la routine des inflexions recommandées par le gouvernement. Elle jouait au naturel, avec un air de finesse naïve. Beaucoup de personnes la préféraient à la brune Quinault, à la blonde Balicourt, à la belle Clairon, à la jeune Gaussin, toutes de la Comédie-Française. Au rebours de la plupart de ses camarades, elle comprenait ce qu’elle débitait. Sa connaissance du cœur humain l’aidait à discerner et à rendre les nuances de ses rôles. Elle jouait de préférence les Isabelles, sorte de personnage qui était fait de coquetterie, d’intrigue, de fantaisie, d’aventure et parfois de remue-ménage endiablé. Isabelle était souvent travestie. Elle apparaissait sous le pourpoint noir de Scaramouche, affublée de la soubreveste d’un garde-française, harnachée de la bandoulière d’un dragon, empanachée comme un mousquetaire ou gentiment pincée dans le dolman hongrois d’un housard. C’est pour Silvia-Isabelle que Marivaux composa, dans la Fausse Suivante, le rôle de la jeune veuve déguisée en chevalier.

Il y eut rarement plus d’affection entre un auteur et une comédienne. La façon dont ils se parlèrent pour la première fois mérite d’être rapportée.

C’était au printemps de 1722. Silvia venait de jouer la Surprise de l’Amour et la pièce avait réussi.