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MARIVAUX.

des femmes. Marivaux, qui prenait tout au sérieux, écrivit un réquisitoire contre le bilboquet : 1o au nom de l’esprit, que ce fâcheux engin supprimait sans le remplacer ; 2o au nom de l’amour, à qui ce jeu enlevait de précieux instants ; 3o au nom de la raison, qui conseille aux hommes et aux femmes de varier leurs plaisirs. Inutile d’ajouter que ces justes remarques, fort approuvées par les salons, ne changèrent rien à la mode. Le jeu du bilboquet, comme toutes les manies passées, présentes et à venir, ne mourut que de sa belle mort. « Ô gens du monde, a dit Marivaux, que vous êtes de pauvres gens ! »

Pourquoi ce moraliste délié, qui n’était pas fait pour le genre solennel, s’avisa-t-il de rivaliser avec Campistron et de rimer, en cinq actes, une tragédie d’Annibal ? Sans doute pour se conformer à cet usage qui voulait alors qu’un jeune homme bien né fît, au sortir du collège, une tragédie. Cela vous poussait dans le monde. On ne risquait plus de n’être pas pris au sérieux. Cela prévenait en votre faveur les hommes déjà vieux et les femmes encore jeunes, deux sortes de personnes dont on obtient communément l’estime par les mêmes moyens.

Marivaux, ne pouvant échapper, même dans la tragédie, à la pente où l’inclinaient ses goûts, fit un Annibal ingénieusement amoureux. Il ne s’est pas soucié de nous peindre, en son attirail de guerre,

Le chef borgne, monté sur l’éléphant Gétule.

Chez lui, le vieux général carthaginois marivaude. Il est raisonnablement épris de Laodice, fille du roi Prusias, son hôte. Or, cette princesse le