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MARIVAUX.

toutes ses contemporaines. L’artifice dans l’amour lui déplaisait. La passion lui paraissait incompatible avec la fausseté volontaire ou instinctive. C’est pour plaider la cause de la sincérité amoureuse qu’il rédigea, en 1712, non sans effort, un Pharsamon ou le Don Quichotte moderne dont les plaisanteries paraissent aujourd’hui aussi fanées que celles du Berger extravagant. On voit dans ce récit, laborieusement burlesque, une critique des romans exaltés qu’aimaient autrefois les seigneurs et les dames de l’hôtel de Rambouillet. C’est l’histoire interminable d’une jeune fille, nommée Clorine, qui est fort malheureuse, et qui, depuis la mort d’un amant, adoré, ne peut souffrir la société de ses semblables. Elle vit dans un château dont la solitude s’accorde avec son chagrin. D’autre part, un jeune gentilhomme, qui s’appelle Pharsamon, occupe ses journées chez un vieil oncle, à lire des romans de chevalerie, qui lui mettent la cervelle à l’envers. Il en devient furieusement romanesque, et ne rêve que rigueurs, martyres, sublimes tourments, froideurs cruelles, héroïques exploits. Pharsamon rencontre Clorine, et il l’aimerait aussitôt s’il ne se piquait de fidélité pour une certaine Cidalise, personne ridicule dont il voudrait faire la dame de ses pensées. Finalement, le héros dégrisé épouse une veuve un peu mûre. Bref, c’est un badinage froid. Il y manque non seulement la puissance épique d’un Cervantès, mais encore l’agilité narrative d’un Lesage. C’est une plaisanterie sans gaieté. Notons seulement, dans cette œuvre si imparfaite, une nouvelle trace de cette méfiance, de cette crainte d’être