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SES DÉBUTS DANS LE MONDE ET AU THEÂTRE.

On raconte que Fontenelle, déjà sourd, et voulant goûter toute la saveur de ce sixain, pria l’auteur de le répéter.

« Eh ! ma grosse bête, dit la marquise, ne vois-tu pas que ce couplet n’est que du galimatias ? »

À quoi Fontenelle répondit :

« Ma foi, cela ressemble si fort à tout ce que j’entends ici, qu’il n’est pas étonnant que je m’y sois trompé. »

Le salon de Mme de Lambert passait pour un bureau d’esprit. Ceux qui n’y étaient pas admis ou qui avaient le malheur d’y faire triste figure en disaient du mal. La marquise qui avait vécu jusqu’à soixante ans sans causer d’inquiétudes à ses amis, se mit en tête, sur le tard, de régenter et de nourrir la littérature. Un de ses vieux amis, M. de la Rivière, gendre de Bussy-Rabutin, entreprit vainement, par ses conseils, de lui épargner cette peine. Elle s’obstina dans son dessein, avec la passion que montrent quelquefois les dames âgées lorsqu’elles veulent, « dans le déclin de leur beauté, faire briller l’aurore de leur esprit ». Le peintre Largillière nous a laissé son portrait. Elle avait des yeux placides et bons, une bouche souriante, une beauté un peu massive, quelque chose de reposé et de doux, sous ses cheveux gris et sa toque à gland d’or. Elle donnait à dîner, deux fois par semaine, à ces messieurs de l’Académie, qui payaient leur écot par des dissertations. On y cultivait un genre de préciosité que les vieux conservateurs, les « Gaulois » de ce temps, les voltairiens avant Voltaire, ennemis des ruelles et des caillettes, appelaient,