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SES DÉBUTS DANS LE MONDE ET AU THEÂTRE.

mariage. Il fut, si l’on peut associer ensemble deux mots qui paraissent se contredire, un misanthrope sociable. C’était un Alceste réconcilié avec Philinte et prenant en douceur les défauts de Célimène. Il apportait aux conversations du monde un mélange d’aisance et de réserve, qui était visible surtout dans ses relations avec les femmes. Marivaux observa toujours envers celles-ci une politesse où il entrait un peu de défiance, de circonspection et peut-être de regret. Personne ne fut, plus que lui, l’humble serviteur des femmes. Mais il demeura longtemps célibataire ; non pas à cause des avantages qui sont parfois attachés à cet état. Et d’ailleurs, en ce temps, le célibat prolongé n’était pas une profession, une sorte de fonction sociale, commode aux gens avisés qui veulent s’assurer, jusqu’aux approches de la caducité, l’attention des jeunes filles et les prévenances des jeunes femmes. Bien que la perruque fût propice à cacher l’injure des ans, on estimait qu’un homme, passé la trentaine, commence à perdre un peu de sa fraîcheur, et qu’en tout cas il risque d’apporter en ménage trop de souvenirs, des impressions rebelles à l’oubli, une âme sensiblement déveloutée. Songez que l’Arnolphe de l’École des femmes, ce barbon classique, n’a guère que quarante ans. Aujourd’hui, il en avouerait trente-huit, trente-sept peut-être, prendrait un air déluré, cirerait en accroche-cœur une moustache conquérante et préalablement un peu noircie. On l’inviterait à dîner dans les familles. C’est lui qui se moquerait du bel Horace. Il ne craindrait pas la concurrence des jouvenceaux. Ce quadragénaire