Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
MARIVAUX.

trompons pas. Sous ce ton léger d’un homme qui n’aime pas les éclats de voix ni les grands gestes, il y a une intransigeance de sentiments qui fait, comme nous le verrons tout à l’heure, le fond même et la beaulé durable de la Joie imprévue comme des Fausses Confidences, du Petit-Maître corrigé comme du Préjugé vaincu.

De cette première déception Marivaux a gardé une souffrance subtile, quelque chose comme cette fêlure discrète et inguérissable qui fut infligée par un coup d’éventail au fameux Vase brisé de Sully Prudhomme.

L’honnête Marivaux pensait que l’amour est un jeu très noble, où il ne faut pas tricher. Or n’oublions pas qu’au moment où il entra dans la société polie, l’amour à la mode n’était qu’une comédie de mensonges à peu près cyniques. Le code de la galanterie admettait, recommandait même les plus effrontés artifices. On peut voir jusqu’où allait cette tartuferie, en lisant les Mémoires du comte de Gramont. On y trouve notamment ce rondeau significatif :

Mettez-vous bien dans la mémoire,
Et retenez ces documents,
Vous qui vous piquez de la gloire
De réussir en faits galants
Ou qui voulez le faire croire.

En équipage, en airs bruyants,
En lieux communs, en faux serments,
En habits, bijoux, dents d’ivoire,
Mettez-vous bien….

C’est peut-être à cause de cette déception sentimentale, que Marivaux resta longtemps éloigné du