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MARIVAUX.

cice d’écolier, versifié, par gageure, en une semaine et où paraissaient, avec d’heureuses imitations, quelques espérances de talent. Les beaux esprits de la sénéchaussée de Limoges y prirent, dit-on, quelque plaisir.

Une aventure sentimentale qu’il eut vers le même temps inclina son esprit et son cœur au genre littéraire qui devait illustrer son nom sur le théâtre et dans le roman. Il a conté cette fantaisie avec tant de franchise, qu’on ne saurait, sans barbarie, substituer un froid résumé à son récit.

« Je m’attachai, dit-il, à une jeune demoiselle à qui je dois le genre de vie que j’embrassai. Je n’étais pas mal fait alors, j’avais l’humeur douce et les manières tendres. La sagesse que je remarquais dans cette fille m’avait rendu sensible à sa beauté. Je lui trouvais d’ailleurs tant d’indifférence pour ses charmes, que j’aurais juré qu’elle les ignorait. Que j’étais simple dans ce temps-là ! Quel plaisir, disais-je à moi-même, si je puis me faire aimer d’une fille qui ne souhaite pas d’avoir des amants, puisqu’elle est belle sans y prendre garde, et que par conséquent elle n’est pas coquette !…

« Un jour qu’à la campagne je venais de la quitter, un gant que j’avais oublié fit que je retournai sur mes pas pour l’aller chercher. J’aperçus la belle de loin, qui se regardait dans un miroir, et je remarquai, à mon grand étonnement, qu’elle s’y représentait à elle-même dans tous les sens où, durant notre entretien, j’avais vu son visage, et il se trouvait que ses airs de physionomie que j’avais crus si naïfs n’étaient, à les bien nommer, que des tours de