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LE MARIVAUDAGE.

marivaudage, c’est l’amour qui se querelle avec lui-même et qui finit par être heureux presque malgré lui ; c’est l’amour qui cause, mais qui cause pour s’épurer et pour s’ennoblir.

On voit les différences qui séparent le marivaudage du moderne flirt. Il y aurait quelque impertinence et quelque anachronisme à vouloir les indiquer.

Marivaux, qui ne fut guère chanceux pendant sa vie, ne le fut guère davantage après sa mort. Les circonstances furent telles qu’il parut bien vite, même à ceux qui goûtaient sa manière, un isolé et un dédaigné. Au moment où il mourut, il y eut, pour ainsi dire, un tournant dans son siècle. L’énorme bâtisse de l’Encyclopédie, maçonnée par des gens peu enclins au marivaudage, commença d’inquiéter l’esprit humain. Les années qui suivirent furent marquées par les premières déclamations de Rousseau. Buffon entreprit ses vulgarisations majestueuses. On se mit à discuter en public, non plus sur les nuances fugitives des passions amoureuses, mais sur la société et la propriété, sur la théorie de la matière vivante et de l’organisation spontanée, sur la morale de l’instinct animal et de l’intérêt bien entendu, sur la bonté originelle de l’homme et sur les erreurs de la civilisation…. La lourde logique des matérialistes fit fureur chez les fermiers généraux et même chez les marquises. La propagande de Rousseau engagea les mondains à médire de la vie mondaine. On affecta, selon l’exemple et les préceptes du Vicaire savoyard, de mépriser les salons, les jets d’eau, les bosquets, les berceaux de verdure, le clavecin, les nœuds, les