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MARIVAUX.

les duperies qui nous font manquer l’heure du berger ou de la bergère par une trop grande application à la retarder, ou par une hâte excessive à la vouloir saisir, — l’habitude de raisonner sur les inclinations qui nous font pencher d’un côté ou de l’autre, — l’esprit de finesse employé à découvrir les plus secrets mouvements de notre sensibilité, — par conséquent l’usage conscient d’un style ajusté à la ténuité de ces enquêtes, style qui n’est pas exempt de recherche, mais qui abonde en trouvailles décisives, — voilà précisément le marivaudage.

Le marivaudage n’est donc point, comme on l’a cru, le dictionnaire de la fade galanterie, c’est le formulaire des scrupules du cœur. C’est la recherche romanesque des solutions raisonnables, et l’art d’éviter adroitement les engagements téméraires. C’est le bréviaire de tous les artifices par où les gens qui ont beaucoup d’esprit peuvent aboutir à la simplicité, « On croit voir, disait Marivaux, on croit voir partout, dans toutes mes comédies, le même genre de style, parce que le dialogue y est partout l’expression simple des mouvements du cœur. La vérité de cette expression fait croire que je n’ai qu’un même ton et qu’une même langue, mais ce n’est pas moi que j’ai voulu copier, c’est la nature, et c’est peut-être parce que ce ton est naturel qu’il a paru singulier. »

Il y a sous le charme de Marivaux beaucoup de santé morale. Cet homme d’esprit, exempt d’ironie, a voulu réconcilier la franchise avec la politesse, le désir de plaire avec l’ambition d’être véridique, le souci d’être honnête avec le soin d’être aimable. Le