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MARIVAUX.

mis plus de six heures pour nommer son frère lieutenant général et pour le marier ensuite, ce dramaturge paradoxal ne badinait pas avec l’amour et prenait le mariage au sérieux. Il a exprimé ce désir secret, qui était celui de toutes les femmes de son temps, et qui appelait, à la place du séducteur, froid, cruel, méprisant, la grâce attendrie de l’homme vraiment sensible. Par là, il a préparé son siècle à un « état d’âme » nouveau. Dans le siècle de Lauzun et de Tilly, de Faublas et de Valmont, il a protesté contre le genre d’amour qui implique le mépris de la femme. Il a blâmé, d’autre part, cette sorte de mariage qui consiste uniquement à s’établir pour faire une fin. Par là, il mérite d’être entendu de nous, s’il est vrai, comme on le dit, que, sans prétendre aux élégances de Choiseul ou de Lambesc, nous avons cependant une tendance à considérer le mariage, maintenant surtout qu’il est atténué par le divorce, comme un accident négligeable, une formalité bourgeoise, — s’il est vrai enfin que nos jeunes filles s’y destinent parfois sans grande conviction, avec un zèle simplement exigé par les convenances.

Les dramaturges Scandinaves, qui traitent volontiers, à la suite de M. Dumas, cette question du mariage, nous montrent ordinairement, par le spectacle de leurs révoltées et de leurs névrosées, ce qui se passe, après le sacrement, dans les ménages mal assortis. C’est fort laid. Autrefois, exception faite pour la Princesse de Clèves, on racontait peu, du moins en public, l’histoire des femmes mariées. Le roman féminin était censé finir la veille du mariage. Mari-