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LE MARIVAUDAGE.

avec le palefroi des châtelaines d’antan. Soit. Mais Lucile, Hortense, Araminte exigent des stages utiles, tandis que Guenièvre et ses pareilles imposaient des épreuves insensées.

Aux yeux de Marivaux, l’amour tient lieu de toutes les vertus. Il est la vertu même. Seulement, faisons bien attention. Ce n’est pas ici le songe d’une nuit d’été. C’est une vision lucide, désirée par le cœur et éclaircie par la raison. Trop sincère et trop brave homme pour se dissimuler à lui-même ou pour dissimuler aux autres le danger de sa doctrine, il saisit l’occasion d’expliquer (sans recourir à l’aventure classique de Francesca de Rimini avec son beau-frère Paolo Malatesta) comment la capitulation des femmes vertueuses est quelquefois plus rapide que la chute des autres femmes. Supposez, dit-il, une a femme sage et vertueuse », aux prises avec « un amant tendre, soumis et respectueux ». Voici, neuf fois sur dix, ce qui se passe : « Elle lui impose silence, bien moins parce qu’elle hait que parce qu’elle s’est fait un principe de le haïr et de le craindre. Elle lui résiste, mais en résistant, elle entre insensiblement dans un goût d’aventures, elle se complaît dans les sentiments vertueux qu’elle oppose ; ils lui font comme une espèce de roman noble qui l’attache, et dont elle aime à être l’héroïne…. L’amant demande pardon d’avoir parlé, et en le demandant, il recommence. Bientôt elle excuse son amour comme innocent, ensuite elle le plaint comme malheureux, elle l’écoute comme flatteur, elle l’admire comme généreux ; elle l’exhorte à la vertu, et en l’y exhortant, elle engage la sienne….