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MARIVAUX.

discret se sépare de ses contemporains, pour capter, en des coins inexplorés, un filet d’idéalisme, venu de ce large flot qui a jailli des profondeurs mêmes de notre conscience nationale et qui, dérivé de ces sources inépuisables que recelait l’âme des vieux Celtes, s’est répandu à travers le monde par la propagande efficace de nos plus grands écrivains. Il a cueilli des fleurs d’automne sur les rejets de nos vieilles épopées. Il a glané des bouquets d’arrière-saison sur les coteaux de ce Lignon où Honoré d’Urfé avait égaré ses rêveries. Les menues et fragiles merveilles de ce charmant esprit, ces comédies destinées à être jouées parmi les rubans roses, les volants et les « mignonnettes » sous des plafonds peints où voltigent des amours, voisinent avec ces colossales épopées que les héritiers des harpeurs bretons répandaient de château en château. Sa prose doucement passionnée s’allie naturellement avec cette poésie courtoise qui contait à la dame du temps jadis, en sa chambre enluminée de verrières peintes, des prouesses fines, des galanteries subtiles, des gageures de vaillance, des miracles d’amour. Dans les moralités sentimentales de Marivaux, comme dans les poèmes du vieux Chrestien de Troyes, les hommes n’existent que pour les femmes et par les femmes : « Femmes, s’écrie Lelio, dans la première Surprise de l’amour, vous nous ravissez notre raison, notre liberté, notre repos ; vous nous ravissez à nous-mêmes ».

Mais entendons-nous. Les marquis de Marivaux sont les petits-fils raisonnables des paladins surexcités. La chaise à porteurs de ses marquises voisine