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LE MARIVAUDAGE.

Aux yeux de Marivaux, l’amour, même lorsqu’il est timide, purifie et embellit tout ce qu’il touche. C’est un « penchant qui lie les âmes ». C’est un « sentiment glorieux ». Il s’associe naturellement avec les plus éminentes vertus. Allons plus loin, cette passion est « si douce, si noble, si généreuse », qu’elle « ressemble elle-même à une vertu ».

Où sommes-nous ici ? Au commencement du xviiie siècle ? Parmi les divertissements et les propos dont le souvenir demeure attaché comme une salissure à la mémoire du Régent ? Dans le temps où les courtisans de Louis XIV, métamorphosés en roués, étonnaient le monde par le cynisme et la bassesse de leurs galanteries ? Il n’y paraît pas. Ce coup d’aile imprévu nous emporte, semble-t-il, plus loin encore que l’Astrée, vers le pays enchanté où le douloureux Tristan aima si fort Yseult la Blonde, vers le temps fabuleux où Lancelot du Lac disait tout bas à la reine Guenièvre : « Dame, vous m’avez dit en me quittant : Adieu, beau doux ami. Jamais ce mot, depuis ce temps, ne m’est sorti du cœur. C’est le mot qui fera de moi un vaillant homme si jamais je le suis. Ce mot me conforte en tous mes ennuis. Il m’a guéri de toute peine, gardé de tout péril, enrichi dans la pauvreté. »

Ainsi, la sentimentalité raisonneuse de Marivaux rejoint presque à travers les siècles, malgré une longue série de vulgarités et de platitudes, les chevaliers mystiques de la Table-Ronde, et ressemble, pour employer une expression qui lui est familière, à cette a franchise de cœur qu’avaient autrefois nos aïeux ». Sans en avoir l’air, cet homme