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MARIVAUX.

brières agrafent les jarretières de madame, lui ajustent son « corps à baleine », lui chaussent ses mules, et lui prodiguent ses fards, pâtes, mouches, odeurs, rubans, tresses, aigrettes, tandis que la coiffeuse ouvre la boîte à poudre, et arrange le savant édifice des cheveux en dorlotte, en papillon, en équivoque, en désespoir ou en culbute, madame s’occupe à décacheter des billets doux. Elle se demande si elle doit répondre par un sentiment à l’attrait que tel galant lui déclare. Elle médite pour savoir si telle conformité doit s’achever par la passion ou s’arrêter aux strictes limites de la sympathie. Elle réfléchit aux conséquences d’une fantaisie, d’une épreuve, d’une passade. Elle ne se donne pas la peine d’enfermer toutes ces reliques compromettantes dans un tiroir à secrets. Négligemment, elle laisse traîner sur le velours des sofas, sur les chiffonniers, sur le « coffre aux robes », les lettres de rendez-vous, les portraits, les mèches de cheveux, tout le bric-à-brac de ses caprices. Le mari, qui d’ailleurs habite un logis fort éloigné de l’appartement de cette dame, s’aperçoit de ce manège et ne s’en scandalise point.

Le bichon jappe. On frappe, c’est quelque amoureux ou quelque solliciteur, un soupirant qui veut faire agréer ses cadeaux ou un auteur qui veut faire lire ses livres. Les dames de ce temps-là ne faisaient nulle difficulté d’ouvrir leur porte à ces visiteurs indiscrets. On sait que Mme Dupin de Francueil, jeune femme d’un vieux financier et châtelaine de Chenonceaux, reçut Jean-Jacques Rousseau « à sa toilette, les bras nus, les cheveux épars, son peignoir mal arrangé ».