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LE PAYSAN PARVENU

« s’était fourré, dit Saint-Simon dans le conseil des affaires étrangères comme ces plantes qui s’introduisent dans les murailles et qui enfin les renversent ». En ce temps-là, un cocher qui savait bien mener son monde aux bons endroits, par exemple à la Glacière, à Chaillot ou dans la courtille de Mme Liard, au Roule, était en passe de se hisser jusqu’aux emplois les plus relevés. On quittait la glèbe natale ; on revêtait la livrée de quelque seigneur débauché ou de quelque dame un peu dissipée, on s’appelait Champagne, Poitevin, La France, Normand, Picard, La Brie, La Roche et, si l’on avait un peu d’adresse dans l’esprit et de souplesse dans l’échine, on pouvait, après avoir étrillé beaucoup de chevaux ou lavé beaucoup de vaisselle, passer de l’office au salon et tenir, tout comme un autre, état de gros bourgeois ou même de gentilhomme. On quittait le justaucorps galonné sur les coutures et l’on endossait un habit brodé de velours. « Le corps des laquais, dit Usbek à Ibben, dans les Lettres persanes, le corps des laquais est plus respectable en France qu’ailleurs. C’est un séminaire de grands seigneurs. »

Jacob est né quelque part en Champagne, dans une ferme. Marivaux, avec cette imprécision pittoresque qui l’a toujours empêché de dessiner la figure d’une maison ou la forme d’un chapeau, a négligé de nous dire si son paysan vient des plaines crayeuses de Châlons ou des collines boisées parmi lesquelles l’Ourcq et la Vêle traversent des bouquets d’aunes et des clairières de genêts. Est-il né dans le bailliage de Reims ou dans celui de Vitry-et-Chaumont ou bien dans la Brie champenoise ?